Blavatsky H.P. - Juges ou Calomniateurs?

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Juges ou Calomniateurs?
by Helena Petrovna Blavatsky
H. P. Blavatsky Collected Writtings, vol. 7, page(s) 318-330

Publications: Le Lotus, Paris, Vol. I, No. 4, juin 1887, pp. 193-203

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JUGES OU CALOMNIATEURS?

«. . . . [Madame Blavatsky] n’est pas le porte-voix de voyants que le public ignore, ni une simple et vulgaire aventurière; mais nous croyons qu’elle a conquis sa place dans l’histoire comme l’un des plus accomplis et des plus intéressants imposteurs dont le nom mérite de passer à la postérité».

—Proceedings of the Society for Psychical Research, Vol. III, Part ix, décembre 1885, p. 207.

M. Hodgson, l’auteur de ce remarquable verdict[1] aurait dû, pour se montrer aussi prophétique que sagace, ajouter ces mots: «Oui, son nom passera dans l’histoire. Il figurera, au vingtième siècle, entre les noms de comte de Saint-Germain et de Cagliostro, dans les encyclopédies futures; article: ‘Les Imposteurs célèbres’».

Eh bien! je ne m’y oppose pas. Je m’y trouverai en fort bonne compagnie. En effet, une vieille femme qui a eu assez d’esprit pour berner depuis son enfance tous ceux qui l’approchaient, qui pendant ces quatorze dernières années, a su tromper—mettons hypnotiser—des centaines d’hommes intelligents et des douzaines de personnages de la meilleure société, comprenant des esprits supérieurs fort connus comme hommes de science, une telle femme mérite, certes, de passer dans l’histoire, et ses victimes avec elle, hâtons nous d’ajouter.

Le verdict a fait le tour du monde. Il a été accueilli avec avidité par tous les journaux bavards et cancaniers, et a reçu l’hospitalité la plus bienveillante sur les pages 319des revues dites scientifiques et philosophiques,[2] il a fourni de belles phrases à des brochures plus ou moins littéraires et a été acclamé et commenté par l’armée grouillante des reporters à tant de sous la ligne. Mais pourquoi a-t-on choisi cette phrase du décret Hodgson? C’est tout simple. Ce décret venait d’une Société scientifique, de cette Société des Recherches Psychiques qui prétend séparer le bon grain de la paille, reconnaître le vrai du faux et établir ainsi le règne de la paix et de la fraternité entre les matérialistes et les spirites anglais. Son fondateur et chef, d’ailleurs, M. Myers n’a-t-il pas appartenu pendant trois ans à la Société Théosophique? Tout le monde ne sait-il pas, à Londres, qu’il a était un des premiers «bernés», puisque bernés l’on veut, de la London Lodge of the Theosophical Society, et qu’il fut un temps où il croyait parfaitement à tous ces phénomènes? Ces derniers sont appelés «niaiseriess» maintenant, dans la Revue scientifique, dont le directeur est un autre ex-théosophe, qui s’est retiré à temps, comme à l’Opéra comique, pour sauver le buste de la Science.[3] Ergo: la sentence vient de haut; Mme Blavatsky est condamnée par contumace.

320 Tout ceci, je l’écris, ne cédant qu’à contre-coeur aux instances de mes amis. On me supplie de répondre aux volumes de railleries de perruquier, de blagues ineptes accumulées par les journaux, aux accusations plus sérieuses des revues de science et de philosophie. La vie est trop courte, et le temps trop précieux pour qu’on le perde à contredire des propos en l’air, des suppositions basées sur des hypothèses—toutes scientifiques qu’elles soient. Je cède, mais en me réservant le droit, dans ce cas, de dire ce que je pense. Tant pis pour ceux qui entendront la vérité.

Or, je conteste à la science, quand même elle s’intitulerait «psychologique», le droit de toucher des questions dans lesquelles, matérialiste jusqu’au bout de ses ongles crochus qu’elle est, elle ne peut que voir du bleu. Pour être regardé comme un expert dans un art quelconque, il faut être soi-même artiste en cette spécialité. Or, si l’on excepte M. Myers qui fut un croyant et qui accepta d’abord les phénomènes sur foi, pour les répudier ensuite—sur foi encore,—se fiant à la sagacité de son agent, c’est-à-dire au témoignage absolument isolé d’un ignorant en mystères psychologiques, aucun des juges et jurés de la Société Psychique n’est compétent à se prononcer sur les manifestations anormales. Pas un n’est médium, ni occultiste, parmi ces bons savants de Cambridge. Aussi ont-ils déclaré Eglinton—un des médiums les plus remarquables de l’Europe—un imposteur, depuis A jusqu’à Z.

La science est aux abois. Forcée par les faits, qui ne respectent aucune perruque, de se rendre à leur évidence, elle a été mise en demeure de donner son opinion sur les 321phénomènes psychiques. Elle s’y soumit diassez mauvaise grâce. Il y en a, parmi ses représentants qui se sont adonnés avec ardeur aux recherches hypnotiques. En sont-ils plus avisés pour cela? Ceux qui se sont convaincus de la réalité des phénomènes, ainsi que de l’impuissance de la science à les expliquer par des données purement physiologiques, se taisent, n’osant parler, car ils savent bien ce qui les attend. La liste est longue des savants connus qui, après s’être aventurés sur l’arène du spiritisme pour y briser une lance dans la défense des phénomènes, se sont vus classés par leurs confrères sous l’étiquette de non compos mentis. M. Wallace, le grand naturaliste de Londres, a fermé la bouche et ne dit plus rien; M. Crookes préfère également le silence; M. Gibier est à la veille d’être proclamé un aimable halluciné, sinon un charlatan comme le traitait un de ses confrères que je ne veux pas nommer; et ainsi de suite. . . . .

Un peu de logique, s’il vous plait, Messieurs mes juges et calomniateurs. La Société Psychique de Londres pouvait-elle se prononcer en faveur de tous les phénomènes décrits dans le Monde Occulte et ailleurs, sans risquer de perdre son titre de «scientifique»? Comment son adhésion à tout ce qui me fut attribué par les phénoménalistes aurait-elle été reçue par les savants qui nient d’emblée l’existence des forces intelligentes en dehors de l’homme? C’était une question de vie ou de mort, le to be or not to be d’Hamlet. Une fois que les calomnies d’une méchante femme, poussée par la vengeance et aidée de toute une noire armée de missionnaires, furent publiées dans l’organe évangelique de ces derniers, la Société Psychique—ou plutôt son fondateur théosophiste—n’eut plus qu’à choisir entre les deux cornes du dilemme. De deux choses l’une: (a) ou bien il devait déclarer publiquement que les accusations de la dame Coulomb étaient des inventions, et dans ce cas, lui et sa Société savante auraient eu à partager les quolibets lancés contre les théosophes, à être noyés dans un fleuve de ridicule, il aurait perdu sa caste enfin, comme on dit aux Indes, et pour toujours; (b) ou naviguant avec le courant, il fallait 322bien, pour se tenir sur l’eau, proclamer que tous les phénomènes, les Mahatmas et leurs agents étaient une immense imposture.

Impossible de transiger; c’était à prendre ou à laisser. La Société Psychique s’était trop avancée et trop compromise.

Sait-on seulement dans quelles circonstances eut lieu l‘enquête de M. Hodgson aux Indes? Que sait-on de cet agent devenu si célèbre pour sa «sagacité merveilleuse», sagacité à faire pâlir les exploits des mouchards les plus renommés? Eh bien, je vais vous renseigner; et je défie mes ennemis de me donner un démenti.

Ce jeune homme, sans expérience aucune, n’ayant pas la moindre idée des phénomènes psychiques ou autres est envoyé aux Indes; à lui seul, il est procureur, juge, juré et avocat, tout à la fois. Arrivé là, il devait faire une enquête, prendre note de tous les phénomènes produits depuis sept ans, comparer les témoignages des théosophistes avec ceux de leurs dénonciateurs, etc., etc. Comment s’y est-il pris? Il n’a interviewé que nos ennemis, des missionnaires hydrophobes, des ex-membres de la Société, expulses de nos rangs, des railleurs et des matérialistes endurcis. Les chrétiens protestants dont se compose la société anglo-indienne, à cheval sur la routine du cant, guidés dans un fourreau de correction et de respectability, le reçurent à bras ouverts. Depuis la fondation de la Société Théosophique aux Indes, ce monde anglo-indien, le monde officiel et jaloux, s’était montré notre adversaire implacable. M. Hodgson aimait à faire figure dans les salons; il recherchait les bals et les grand dîners, et il avait à choisir entre ce monde pétillant de champagne frelaté sinon d’autre chose, et notre monde occulte. C’est ainsi qu’il vint un jour chez nous emprunter un costume de prince indou d’un de nos théosophistes pour se pavaner à un bal costumé donné par le gouverneur de Madras. Une fois là, il déclara publiquement, à la grande joie du monde respectable et correct, que la Société Théosophique n’était qu’une imposture; c’était, selon lui, une association d’imbéciles trompés et de trompeurs intelligents.

323 Un détail curieux sur les lettres que je suis accusée par les missionnaires d’avoir écrites, et que l’expert de Londres, après de longues hésitations [4], trouva être de mon écriture, c’est-à-dire tracées par la même main qui avait, disait-on, écrit toutes les lettres des Mahatmas: M. Hodgson les a portées sur lui pendant des semaines entières. Il vint nous voir tous les jours. Il logea chez nous pendant une semaine. Ces lettres, il ne me les a jamais fait voir, il ne m’a jamais demandé d’explication à leur sujet. Jusqu’à ce jour je n’ai jamais aperçu la couleur d’une de ces lettres “incriminantes”. Et ceci s’appelle une enquête scientifique et faite d’une manière impartiale!

Quand on veut tuer son chien, on le dit enragé, et M. Pasteur lui-même n’y pourrait rien faire. Et l’on veut que je me défende! Devant qui, bon Dieu? Devant ceux qui croient en M. Hodgson et qui prennent ses déplacements au sérieux, ou devant les pauvres reporters pour qui je suis une mine inépuisable de gros sous? Les premiers m’avaient condamnée d’avance comme charlatan, avec ou sans cette fameuse enquête de si triste célébrité pour la Société Psychique. Ils n’ont jamais changé d’idée. Cela n’a fait que de leur fournir un semblant de droit de plus: celui de proclamer sur toutes les gouttières ce qu’ils disaient en petit comité depuis que mon nom est devant le public. Les autres, allons donc! Il faut bien que le pauvre monde vive. Si en m’appelant «grosse grenouille» ou «farceuse» un dîner est assuré à un pauvre journaliste affamé, je ne m’y oppose nulle ment.[5] La charité et le pardon entrent dans la liste des vertus théosophiques. D’ailleurs, est-ce qu’il y en a un 324seul parmi mes détracteurs parisiens si âpres à la curée, qui me connaisse?

Quant à mes amis—les vrais amis—ils ont confiance en moi comme par le passé. Pour chaque désertion—et il y en a bien peu—j’ai acquis dix nouveaux amis dévoués, autant de membres pour notre Société. Le seul résultat des foudres lancées contre moi par la Société Psychique a été de forcer l’attention publique à se partager entre les régents bulgares, M. de Bismarck, le Pape—et moi. C’est fort flatteur. D’autant plus que les tours de force psychiques accomplis par ces Messieurs sont bien plus remarquables que tous les phénomènes qui me sont attribués. Un autre résultat cependant est la formation, en Angleterre même, d’une nouvelle Loge théosophique intitulée: Blavatstky Lodge, et sa transformation prochaine en Société Théosophique de la Grande-Bretagne englobant en son centre la London Lodge et les autres branches.

Maintenant, une dernière question à vider. Toute action et à plus forte raison toute série d’actions, s’étendant sur un grand nombre d’années, commise par un individu quelconque, doit avoir nécessairement un motif plausible. Tout arbre se juge par les fruits qu’il porte. Quel a donc bien pu être le motif qui m’a poussée à fonder la Société théosophique, à révéler ce que j’avais tenu secret pendant de longues années, à me jeter, enfin, corps et âme dans la gueule du monstre qui a nom Opinion publique, qui m’attendait à mon entrée dans l’arène? La nécessité de trouver un motif cadrant avec ses conclusions était si bien reconnue par la Société psychique que ce fut la tâche la plus ardente et la plus ardue de cette dernière. On ne put en découvrir aucun; mais les faits suivants furent reconnus par M. Hodgson:

1° Je n’avais jamais accepté un sou pour les phénomènes. Toute offre de ce genre avait été constamment rejetée. Il suffisait que quelqu’un m’offrit une rémunération [6] pour qu’il perdit tout espoir de jamais obtenir de moi l’ombre d’un phénomène.

325 2° M. Hodgson constata, tout au contraire, que depuis sa fondation, je donnais tout mon argent à notre Société avec mes services incessants et gratuits.

3° Des bijoux de prix furent reçus par bon nombre de personnes, même quelquefois par celles qui n’étaient pas de nos membres, tandis que maintes fois des théosophistes pauvres, ou dans un besoin urgent, recevaient des sommes assez fortes (dans un cas 500 roupies: 1250 fr.), dans des lettres venant des Mahatmas: lettres que je suis accusée d’avoir écrites!

4° Plus un théosophiste était pauvre, plus sa position sociale était humble, et plus il avait de chances d’être témoin des plus grands phénomènes.

Je dirai en passant que des vrais phénomènes sérieux [7] personne n’a jamais soufflé mot publiquement: ils furent 326toujours tenus secrets et sacrés. Ce n’est que la catégorie de manifestations psychiques et autres sans aucune importance et produites pour l’amusement des amis—théosophistes comme non-théosophistes—qui furent trainées au grand jour par l’indiscrétion de certains membres enthousiastes. Je m’y suis toujours opposée; mais le courant a été plus fort que moi: il m’a renversée, et c’est sur le cadavre de ma réputation et de mon honneur que certains faits ont été portés à la connaissance du public.

Quel pouvait donc être ce mobile insaisissable, mystérieux, auquel je suis accusée d’avoir obéi pendant ces quatorze dernières années, d’avoir sacrifié tout mon avoir, tout l’argent que je gagnais ailleurs avec mes travaux littéraires, toute mon énergie, ma santé—perdue pour toujours,—presque ma vie enfin? Etait-ce l’ambition, le désir de me voir célèbre? Impossible, car je m’y serais mieux prise dans ce cas. Je serais restée l’amie et l’alliée des spirites et des spiritualistes, mes plus implacables ennemis aujourd’hui. J’aurais montré un respect au moins apparent pour les missionnaires et le clergé, au lieu de les dénoncer; j’aurais brûlé de l’encens au nez des dieux de l’opinion publique et fréquenté le monde. J’y serais restée un mouton de Panurge, au lieu de montrer mon indifférence––j’allais dire mon mépris—à ce monde frivole, sans cœur, sans tête, sans entrailles pour la misère d autrui et surtout pour ceux qui lui tournent le dos. Je ne fis jamais rien de tout cela.

Il devait être bien fort cependant ce motif, qui, m’ayant poussée d’abord à inventer des Adeptes et une Fraternité puissante dans les Himalayas, me contraignit ensuite à forger des lettres au nom de plusieurs d’entre eux. La tâche n’était pas facile. Les écritures de ces lettres sont aussi différentes qu’en sont les styles. Elles étaient rédigées en anglais, en français, comme en russe quelquefois: trois langues que je connais. Mais elles étaient écrites aussi, souvent, en sanscrit, en marathi, en bhâshâ, en tous les dialectes de l’Hindoustan, dont je ne sais pas le premier mot. A côté des quelques lettres dont des fragments ont été publiés de temps en temps, il existe 327des volumes entiers d’autres lettres dont fort peu de personnes ont eu connaissance: des lettres privées, pleines de philosophie, que quelques théosophistes conservent comme des reliques. C’est à la rédaction de ces lettres que je suis accusée d’avoir consacré mon temps et ma vie. Pourquoi? Eh bien, le sagace M. Hodgson l’a trouvé! Selon lui, c’est par pur patriotisme et comme espionne pour le compte du gouvernement russe que j’ai inventé tout cela. L’accusation laisse beaucoup à désirer, car elle n’explique rien. De quoi les Adeptes indous et bouddhistes vivant dans les Himalayas pourraient-ils jamais faire beneficier mon pays? Comment un coup de clochette dans la botte d’un Anglo-Indien ou une cigarette passant d’une poche dans un piano pourraient-ils devenir utiles à une armée russe en train de faire une trouée dans l’Afghan? Autant de mystères qui ne font qu’embrouiller le chaos des explications scientifiques de la Société psychique. Ce ne fut qu’un immense éclat de rire, à la lecture de cette sotte accusation, depuis le cap Comorin jusqu’aux sommets de Simla. Pas un Anglo-Indien qui ne sache que c’est une absurdité. Les Anglais, aux Indes, peuvent dire mea culpa, pour bien des alarmes créées par leur peur chronique des Russes, mais jamais ils n’ont été assez bêtes pour croire à un motif semblable. Ils savent trop bien le contraire. Pendant les trois premières années que je passai aux Indes, le vice-roi lui-même n’eut pas une aussi belle escorte d’agents de police deguisés que celle qui me gardait nuit et jour. Je fus suivie et surveillée partout où j’allai. Enfin, de guerre lasse, on me laissa tranquille. Convaincus qu’il n’y avait rien à surprendre, ils en furent pour leurs frais. C’est Sir Frank Souter, ministre de la police à Bombay, et Sir Alfred Lyall, à Simla, qui me l’ont confessé personnellement.

Cherchez donc ailleurs, messieurs les journalistes. Cherchez toujours, et tâchez surtout de trouver un motif logique, raisonnable. En attendant, si vous tenez absolument à m’accuser, tâchez de ne pas oublier que vous êtes Français, et essayez d’être au moins un peu plus polis, s’il vous est impossible de faire preuve d’impartialité 328et de bon sens. Une fois que vous acceptez le portrait tracé de la main d’un ignare en matières occultes, et que vous copiez en toutes lettres que Mme Blavatsky «n’est pas une simple et vulgaire aventurière», mais qu’elle mérite de vivre dans le souvenir de la postérité « comme l’un des plus accomplis imposteurs, etc.», n’allez donc pas gâter l’effet de cette belle phrase. Car il est tout bonnement impossible de croire qu’une personne de cette forcelà ait jamais pu se rendre coupable de certaines maladresses, que vous lui attribuez. C’est une position qu’on ne saurait conquérir étant sujet à toutes ces folies, ces bourdes, ces oublis incroyables dont on m’accuse. L’hypothèse tombe par son propre poids.

Donc, de deux choses l’une: ou bien je suis (a) une femme innocente et calomniée le plus lâchement du monde, pour des raisons qui sont loin d’être mystérieuses; ou bien je suis (b) une hypnotisée chronique. Ma nourrice m’aurait suggéré qu’il y avait des Adeptes et des phénomènes.... Mais qui donc l’aura suggéré à tous ceux qui croient avoir vu de leurs yeux Mahatmas et phénomènes? Nouveau mystère! D’un côté, «un témoin de la valeur de M. Hodgson » (Revue de l’hypnotisme; article écrit par M. Tétard, hypnotisé à son tour jusqu’à accorder au témoin une valeur que personne ne lui reconnait à Londres); de l’autre, quelques centaines de témoins dont la valeur n’est, certes, pas moins grande que celle du témoin de M. Tétard. Seraient-ils tous hypnotisés par moi, par hasard?

Dans ce cas, Messieurs les journalistes et surtout Messieurs les Directeurs de Revues hypnotiques scientifiques et philosophiques, venez donc, pour l’amour de la science, me demander quelques leçons de suggestion et d’hypnotisme, au lieu de perdre votre temps à me calomnier. Car si tous ceux qui sont restés fidèles à la Société Théosophique et à moi personnellement (une bagatelle de milliers de théosophistes représentant les cent et quelque sociétés aux Indes, avec plusieurs centaines d’Européens et d’Américains) passent leur vie sous l’effet permanent de mon hypnotisme, et que cette hypnotisation leur fait 329prendre des vessies pour des Adeptes [8] et des lettres écrites par moi, ou même copiées dans des journaux spirites, pour des lettres de haute philosophie,—alors, convenez-en, je dois être plus forte que toutes vos grandes sommités médicales. Les docteurs Charcot, Ch. Richet e tutti quanti ne m’iraient pas à la cheville dans ce cas. Quant à la pauvre Société Psychique, à moins qu’elle ne franchisse, et vite, l’étroit horizon de son «telepathic impact» dont elle nous rebat les oreilles, elle finira par hypnotiser si bien son public qu’il n’y aura bientôt plus moyen de le réveiller.

Enfin, et pour terminer cette trop longue causerie, voici un extrait qui montrera que les opinions sont partagées à mon sujet, et se resument en trois, diamétralement opposées. Je le tire d’une lettre d’un Anglais, M.B. . . . . . capitaine aux Indes, théosophe et homme d’esprit.

. . . . Je suis désolé que vous preniez trop au sérieux le fiasco des misérables Coulombs et la besogne nauséabonde brassée par M. Hodgson à la Société des Recherches Psychiques. Ce n’est qu’un sujet d’amusement pour vos amis, car il est facile de pénétrer les dessous de l’histoire. C’est justement ce à quoi il fallait s’attendre. MM. Gurney et Myers lancèrent la Société Psychique au milieu d’une belle sonnerie de clairons qui ne fut saluée que par la éclats de rire d’un monde moqueur. Comme conclusion, ils prouvèrent quele public connaît les choses et ne se laisse pas imposer. L’affaire Coulomb s’éclaircit en un rien de temps. Hodgson est l’homme de Madras: Veni, vidi, vici. Il avait sa réputation à faire à vos dépens; c’était une question de vie ou de mort pour lui et la Société Psychique. Ainsi va le monde; nous n’avons pas à nous en plaindre, mais plutôt à nous en réjouir. La Société Théosophique est purgée: maintenant vous voyez quels sont vos vrais amis. Il n’y a plus que les sots et les cerveaux vides qui prêtent attention aux paroles d’un Hodgson. Connaissez-vous la publication catholique The Month? Cette revue a fait, dans ses numéros de février et de mars, un compterendu du Monde Occulte et de Esoteric Buddhism; elle en tire la conclusion que vous êtes une horrible sorcière. Juste ciel! Ils doivent évidemment rire d’Hodgson et de son grand rapport. Ainsi, comme vous voyez, les opinions sont partagées en trois camps: le parti Société Psychique, de l’espionne russe et du charlatan; le parti Sainte-Église? 330de la magie diabolique chère à des Mousseaux et de Mirville; et enfin, nous-mêmes, qui vous avons gardé notre confiance après avoir lu le bon et le mauvais rapport. Quant à moi, je n’ai d’autre but en vue que la poursuite de la vérité.

[9]

Voici tout ce que j’ai à dire sur ce concert de calomnies et de cancans ineptes qui commence à devenir monotone. Je suis trop sérieusement occupée pour perdre mon temps à répondre à tous les loups qui hurlent à la lune. . . .

H.P. BLAVATSKY

Londres (Maycot), juin 1887.


Footnotes


  1. Voir Le Monde Occulte (préface: p. vi; etc., et postface, 349, etc.). Pour tous les passages obscurs de cet article, nous renvoyons le lecteur ignorant de ces évènements contemporains au Monde Occulte publié par l’éditeur de cette Revue. (F. K. G.)
    [These initials stand for Monsieur F. K. Gaboriau, Editor of Le Lotus, and his reference is clearly to his own French translation of The Occult World by A. P. Sinnett, which was published under the title of Le Monde Occulte: Hypnotisme Transcendant en Orient, Paris and Brussels, 1887, and contained 368 pages.—Compiler.]
  2. Voir les articles pédantesquement ridicules de la Revue scientifique (16 avril, 1887, p. 503), de la Revue philosophique (avril 1887, p. 402), de la Revue de l’Hypnotisme (février 1887, p. 251), etc., (F. K. G.).
  3. N’ayant jamais eu l’honneur de connaître M. Charles Richet, ce n’est pas moi toujours qui l’ai berné en le faisant entrer dans la Société, mais bien deux ex-théosophistes ardents, une parisienne et un russe. Ce dernier, ayant juré à tout le Paris théosophique qu’un des Adeptes (Mahatmas) lui était apparu en corps astral, dans sa chambre, avait causé avec lui près d’une heure, assis sur une chaise en face de lui, et qu’il lui était réapparu encore une fois, dix minutes aprés l’avoir quitté, afin de lui donner une preuve que ce qu’il avait vu n’était pas un rêve, il en résulte que je ne suis pas la seule à avoir inventé les Adeptes orientaux, s’ils ne sont que des fictions. Ce monsieur visité croit sortir de son mauvais pas, à l’heure qu’il est, en donnant le change. Il assure à tout le monde que c’est Mme Blavatsky qui l’avait hypnotisé, le forçant de la sorte à voir cette scène. S’il en est ainsi, l’illusion ayant duré près d’une heure, il serait peu logique de me refuser la possession de pouvoirs extraordinaires. Le phénomène n’en serait que plus remarquable. La Revue scientifique trouvant que Le Monde Occulte «pourrait être l’objet d’une curieuse étude sur l’état psychologique de son auteur et de ses héros » (No. 16, avril, p. 503), aurait dû commencer par faire cette étude sur les deux théosophistes qui ont recruté son Directeur dans les rangs de l’armée théosophique, avant que de lui permettre de s’y engager. Potins de femmes et personnalités s’accordant mal avec la Science exacte.
    [See Compiler’s Note following the English translation of the above long footnote.—Compiler.]
  4. Je ne m’étonne pas de ces hésitations, attendu qu’un autre expert, non moins célèbre, et qui occupe à Berlin une position en vue au Tribunal, a prononcé une décision diamétralement opposée à celle de son confrère de Londres. Cet expert a, dans un document officiel, écrit et juré, déclaré que les lettres signées des initiales du Mahatma K. H ne pourraient en aucun cas être de la main de Mme Blavatsky.
  5. Voir la Lanterne, journal des insulteurs: 30 novembre 1886. (F. K. G.)
  6. Bien des rajahs que l’on pourrait nommer m’offrirent des milliers de roupies en vain. En Amérique, un millionnaire me fit offrir 10,000 dollars si je parvenais à lui faire constater un phénomène des plus simples—que je n’avais jamais refusé de produire à aucun de nos membres—le tintement mélodieux d’une ou plusieurs notes, en l’air. Il fut repoussé, et je n’en voulus plus entendre parler. Ceci est de l’histoire, s’il vous plaît.
  7. La Revue scientifique dit: « . . . On se demande pourquoi des êtres humains, doués d’une puissance aussi grande, s’amusent aux niaiseries que l’on nous rapporte». Le bibliographe le saurait s’il s’était donné la peine de lire le livre. Un peu plus loin: « . . . Les objets sur lesquels Mme Blavatsky exerce sa puissance et celle des mystérieux adeptes . . . sont vraiment trop mesquins». La Revue philosophique a de semblables réflexions. Il nous serait facile de faire à notre tour d’aimables plaisanteries sur l’importance que ces messieurs qui se sont adjugé le monopole de la science, attribuent à leurs pauvres expériences, ridicules quand elles ne sont pas dangereuses. On pourrait montrer Nana hypnotisée, offrant les symptômes d’une grossesse suggérée, au grand amusement de nos badauds, ou allant embrasser, à très courte échéance, tel grave professeur qui sert de risée, sans s’en apercevoir, à toute une bande de gamines, pour démontrer la névrose de la psychose de l’hypnose; on pourrait représenter M. X. trempant dignement son doigt dans de l’urine mieux dosée que son cerveau, et le sucant pour constater si la saveur est acide, acerbe, styptique, ambrosiaque ou asparago-nauséeuse; ou bien encore évoquer l’image de ce savant allemand, qui, récemment, couché dans une baignoire, s’occupait-noblement à souffler sur son pubis émergeant de l’eau pour faire des études comparatives sur les sensations tactiles de chaud et de froid. Mais nous voulons être indulgents. (F. K. G.)
  8. On a été jusqu’à dire que les corps astraux vus par quantité de témoins étaient en baudruche gonflé. (F. K. G.)
  9. Nous avons eu cette lettre entre les mains pour traduire ce passage, et nous avons pu voir que le cabinet noir ne se gêne pas pour décacheter les lettres envoyées à Mme Blavatsky; car sur l’ouverture se trouvait le cachet postal: found open and officially sealed. (F. K. G.)